" Le vrai est le tout." Hegel
Revues horlogères
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Franck Muller WPHH2015 : à contre-courant 2/2

Le 10 mars 2015
Malik
Malik "Pifpaf" Bahri
L'auteur.

Bonjour,

Suite et fin du reportage sur Franck Muller,

 

Cette montre est emblématique du renouvellement de gamme et d’image de la manufacture Franck Muller. D’une part on garde les briques de base, « l’ADN » : grande police de caractère, boitier tonneau chic et calibre Eta Valjoux 7750.
D’autre part, on change tout le reste, on passe d’un produit chic et décalé, un peu dandy, à une montre très orientée sport-chic, voire militaire.

Franck Muller Vanguard Carbonne (1)

Militaire évidemment, le noir du carbone évoque le thème de la furtivité, mais aussi celui des sports mécaniques sans pour autant succomber aux touches de rouge et autres grigris habituels, l’aspect militaire prenant le pas sur l’aspect sport méca.

  • Reste ce boitier anthracite. Obtenir une livrée tirant vers le noir est l’un des grands défis actuels de l’horlogerie sport-chic. Il n’y pas de solution parfaite. En tout cas pas l’acier, ce métal magique, pas cher, facile à travailler, stable, aisé à polir et presque aussi beau que du platine…

A mon sens, la gamme des solutions s’étend de la pire à la moins mauvaise, commençons par la pire :
la galvano sur boitier Alu ou titane, que l’on a pu voir notamment sur les Panerai composites. Sur la durée, la galvano saute et l’on se retrouve avec un boitier fort vilain.
Vient ensuite la céramique : beaucoup en usent et en abusent, Rado et Hublot en tête, c’est beau, c’est sans entretien, ça offre un look tantôt 70’, tantôt Cyberpunk. Mais la céramique se brise facilement, c’est paradoxalement pour cette raison que qu’elle est utilisée dans les blindages composites de chars : la céramique ne casse jamais dans la direction de l’impact, les projectiles sont détournés. Et quand ça casse, ça coûte très cher.
Il y aussi le traditionnel PVD ou DLC, mais c’est juste un plaquage, ça manque de noblesse. Il y’a quand même un avantage, c’est que l’usure se fait aux arrêtes, ce qui apporte un charme un peu « arme à feu » toujours sympa ; sauf si la montre ne s’y prête pas.
Reste le carbone, qui est de loin la moins mauvaise solution. C’est la seule qui associe un matériau original à la résistance (incassable), la noblesse d’un matériau noir dans la masse et l’inusabilité.
Pour produire la fibre, on prend un fil ultrafin (moins de cinq microns) de Polyacrylonitrile (un polymère) que l’on attaque à l’acide afin de permettre aux atomes de carbone d’accrocher. Ce fil est recouvert d’une forte couche de carbone et est ensuite tissé.
Finalement, on superpose plusieurs couches du tissu ainsi obtenu et on les agglomère au moyen de résines spéciales. Le produit fini est un bloc de fibre de carbone.
Ces blocs sont ensuite usinés à la commande numérique, opération qui prend de nombreuses heures, afin d’obtenir les composants du boitier de votre Franck Muller Vanguard Carbon. Ceux-ci sont ensuite assemblés selon des techniques classiques.

Franck Muller Vanguard Carbonne (5)

Vous remarquerez sur les photos que les blocs n’ont pas été usinés par le dessus de la fibre comme à l’accoutumée, mais par la tranche. C’est la première fois que je vois ce type d’usinage en horlogerie, cela renforce beaucoup l’effet militaire,

car le motif du carbone évoque instantanément le « digi-camo » des tenues de combat contemporaines.

Ce boitier digi-camo est ultra léger, sa densité est seulement le double de celle de l’eau, contre quatre fois pour le titane et presque neuf fois pour l’acier. La combinaison de la chaleur de la fibre, du galbe des tonneaux Franck Muller et de la légèreté du boitier en carbone donne une montre incroyablement confortable. On l’oublie immédiatement, c’est presque trop léger quand on aime bien les montres lourdes en métaux précieux (« c’est une montre, mais c’est aussi une arme… »).
La dernière fois que j’ai eu l’occasion de porter une montre aussi confortable, c’était la RM027 « Nadal » (20 gr) vendue en 2011 à Only Watch ; environ 30 grammes et 500.000euros séparent ces deux montres… La Vanguard est vendue 13.500€ et la Nadal 510.000€…

Franck Muller Vanguard Carbonne (3)

Si vous cherchez une montre pour le sport, c’est vraiment un must have, tant la légèreté et le confort sont de la partie.  Le chronographe devrait aussi vous aider à mesurer vos performances. Son calibre est ultra-connu, le Valjoux 7750, un mécanisme dont le manque de « noblesse » horlogère est largement compensé par une fiabilité et une précision démoniaques.

J’ai possédé deux 7750, une Breit Navitimer et une Sub Panerai, l’une des montres les plus précises que j’aie jamais possédées, avec une moyenne de +1,5 seconde par jour.

  • Peu de montres très coûteuses (prix d’une maison) peuvent se goberger avec des performances chronométriques de ce niveau. Il faut rendre grâce à ETA, seul le niveau d’industrialisation totale (notamment des spiraux) du Swatch Group permet ce type de précision.

Enfin, dernier élément, le cadran. Il diffère de la version trois aiguilles, qui est dotée d’un cadran carbone renforçant l’aspect digi-camo. Celui de cette déclinaison chronographe est brossé dans le sens de la longueur, ce qui lui confère un style un peu plus chic et contribue à allonger la montre visuellement. Les grands index Franck Muller possèdent des flancs en Luminova taillés dans la masse, la montre vous donne l’heure discrètement dans le noir.

A mon sens, le défaut de cette montre vient du guichet de date qui, d’une part, n’est pas vraiment dans l’esprit de la pièce, mais surtout qui est doté d’un disque blanc, ce qui me parait relativement incompréhensible dans ce contexte très « côté obscur ». Allo, Dark Vador est miro?

Franck Muller Vanguard Carbonne (4)

Dans le doute, espérons que sur la version finale le disque de date sera noir comme sur la version trois aiguilles. Pour mémoire, les montres présentées ici sont des prototypes, donc pas forcément conformes au modèle final.

  • Que ce soit en version chronographe ou trois aiguilles, la Vanguard Carbon, avec son style contemporain, son boitier carbone (youpi!) et son prix d’attaque (inférieur à celui d’une Panerai en carbone, par exemple), constitue un must have pour celui qui recherche une montre toute noire.

De l’ombre à la lumière, fractionnée :

La crise de 2008 (et l’actuelle qui s’abat progressivement sur l’horlogerie) a entrainé une saturation du marché. Pour compenser, les manufactures de prestige se sont tournées vers un nouveau type de clientèle: le marché féminin (en fait, l’horlogerie suit, avec 80 ans de retard, l’irrésistible avancée du capitalisme : d’ici dix ans, on arrête la réclame horlogère pour passer à la communication ;).

Et quasiment toutes les maisons de prestige se sont engouffrées dans la brèche en proposant des montres très féminines et souvent très belles. Les SIHH2014 & 2015 ont d’ailleurs été très prolixes sur ce thème.
La recette a été un peu réinventée par Van Cleef & Arpels : boitier rond un peu décalé, diamants sur la lunette, décors en nacre gravée, petites fleurs, gentils animaux. Tout le monde y est allé de son interprétation. L’originalité horlogère…
La femme vue par l’horlogerie est une princesse pas complètement sortie de l’enfance, elle est belle mais un peu niaise…
Comprenons-nous bien : ces montres sont très belles, super bien finies, très chères aussi. Mais on s’ennuie un peu, on a l’impression de voguer en permanence entre l’impressionnisme naïf de Rousseau et les contes de Grimm.

Franck Muller Infinity Rainbow (4)

Le problème de fond, c’est que malgré la beauté de ces univers oniriques, on est loin du quotidien de la femme contemporaine.

Qui est déchirée entre ses traditionnels devoirs de femme (enfants, mariage, etc…), son travail stressant (réunions à couteaux tirés, empoignades au tribunal, conf call surréalistes, etc…), et la grandissante injonction à rester belle (épilations sanglantes, vêtements sexys mais inconfortables, diète intenable, etc, etc, etc…).

  • Et c’est là qu’intervient la Franck Muller Infinity « Time is a Woman » qui tranche complétement avec la tendance princesses-petites-fleurs.

La montre combine le sertissage, passage obligé ($$$, désolé messieurs), de la montre joaillère féminine, et décalage visuel, beaucoup plus fun, contemporain, mais néanmoins classique.

Franck Muller Infinity Rainbow (1)

Le highlight de cette montre, c’est évidemment le contraste entre le pavage blanc de brillants (216 diamants, 1.51 carats, 12 saphirs violet pour les index, 0.11cts), et le sertissage de la lunette (rubis, saphirs : bleus, jaunes, orange & violets, ainsi que la tsavorite verte, 112 pierres, 7.51cts).
Ce schéma arc en ciel est l’image de la vie de la femme contemporaine : dynamique, contrasté & haut en couleur.

Il y avait d’autres pièces dans la collection Infinity lorsque j’ai fait cette sélection, mais la Time is a Woman s’est démarqué, par son mélange de simplicité, d’actualité et d’originalité.

Franck Muller Infinity Rainbow (2)

C’est une montre très attachante, qui conviendrait à toutes les femmes, grâce à la versatilité de ses couleurs arc en ciel et son boitier de taille moyenne en or blanc : 40mm de large, sur 43mm de long. Un seul regret, c’est le mouvement quartz, qui n’encourage pas le message sur les montres mécaniques auprès de la gent féminine…

  • Morale de l’histoire :

Ce WPHH2015 de Franck Muller est intéressant car il est à l’opposé du trend. Ce SIHH2015 avait une couleur horlogère unique : des montres néo-vintage très compliquées, très belles, épurés, très chères et un peu ennuyeuses.

Franck Muller arrive au contraire avec des pièces belles, évidemment, mais beaucoup plus sportives, plus fun, dynamiques, plus frugales, avec des prix plus en accord avec la réalité économique de la majorité des passionnés et collectionneurs.
Dans ce sens, les concepteurs et designers de Genthod ont mieux capté le Zeitgest de ce début d’année 2015.

A bientôt.
Pif.