" Freedom is something that dies unless it's used." Hunter S. Thompson
Revues horlogères
Partager

Tudor Pelagos, le jour d’après. Analyse froide.

Le 7 décembre 2014
Malik
Malik "Pifpaf" Bahri
L'auteur.
Tudor Pelagos

J’ai longtemps envisagé d’acquérir une Mercedes Class-C, 4matic : transmission intégrale, V6 diesel. La voiture parfaite, confortable, pratique, compacte, économique. Parfaite en ville, parfaite sur l’autoroute, discrète, prestigieuse sans ostentation. Parfaite à tous points de vue. Et parfaitement chiante. Toute la rigueur sans flamme de la Teutonie.

  • Toute les photos de cet article ont été prises par mes soins dans le cadre de ma collaboration avec Watchonista:

Tudor Pelagos

Et finalement, toute la force et tout le génie de cette Tudor Pelagos c’est d’être la Mercedes Classe C de l’horlogerie.

La montre parfaite. La finition, dont le côté chaleureux tend vers le zéro absolu, est parfaite.

J’ai rarement eu entre les mains une montre au fini aussi irréprochable et aussi peu démonstrative (il y aurait des choses à dire, juste pour le plaisir de pinailler, sur le rendu du cadran et la fausse bille de la lunette).
L’unanimité est totale, les plongeurs en eau trouble l’adorent grâce à ses fonctionnalités, notamment son bracelet novateur. Les plongeurs habillés en piscine de soirée arrosée adorent sa sobriété sans ostentation, elle leur permet de passer pour les mâles dominants (mais pas trop) des soirées convenables.

Personnellement, elle me fait penser à l’IWC GST (un nom qui craint autant que le nom d’une Renault des 80’). Elle lui ressemble d’ailleurs énormément. La série GST fut l’une des plus réussies d’IWC époque Blümlein.
La froideur du style germain tranchait avec les styles « narcotrafiquant-MiamiVice 80’ » encore de rigueur à la fin des années 90’ dans l’horlogerie Helvète (oui, les Suisses ont toujours plusieurs trains de retard, ce qui les sauve généralement).

Credit Photo, Purists:

IWC GST 2000 Purist Copyright

La Suisse Romande, c’est un peu la France, mais aussi beaucoup l’Allemagne et bien que le responsable du projet soit italien, le style de la Pelagos est purement Teuton. Et quand je passe cette montre, j’ai l’impression de regarder un épisode de l’Inspecteur Derrick, des keufs parfaits qui roulent en BMW Série7 parfaite, avec des costards Boss et un Walter PPK parfait, qui coffrent avec des déductions parfaites des délinquants propres sur eux. Et finalement c’est parfaitement chiant, on est rapidement submergé par l’ennui, pas de place pour le défaut, donc pour l’implication du spectateur.

Ca s’emboite trop bien : la part chaotique, nécessaire à la créativité et à la vie, est absente. En définitive, c’est ce qui manque à la Pelagos.

Tudor Pelagos

Tudor a tout fait pour cacher la rutilance de sa réalisation sous des couches de couleurs mates et ternes.
C’est dans le « trend », dans un sens : alors que, dans les années 80, nos parents étaient couverts de couleurs Bozo-le -clown, nous sommes tous, de la racaille au golden boy, vêtus de noir-croque-mort, avec un jean bleu pour les plus « rebelles » d’entre nous…
Et si l’on analyse le paradigme de nos années 10, ce « Zeigest » correspond à un durcissement social inconnu de mémoire d’homme. Une période totale dans ses techniques et technologies, un ère qui tend vers un inquiétant totalitarisme.

Tudor PelagosTudor Pelagos Submariner

Tudor ne fait que coller au plus proche de l’époque, avec un niveau d’acuité inaccessible au commun des maisons d’horlogerie, en proposant une montre fantastique dans sa réalisation, une montre absolue de froideur, de rigueur et finalement, une montre absolument ennuyeuse pour qui aime les produits épicés.La Tudor Pelagos est néanmoins une montre indispensable pour celui qui se revendique en tant que collectionneur averti.

C’est certainement la pièce qui a le mieux condensé le Zeitgest de ces années 2010.

De surcroît, elle marque le pic de l’embourgeoisement dans la production du groupe Rolex. La Pelagos marque le retour à la « Tool-Credibility » de la marque à la Couronne, après une dizaine d’années de Submariner froides et stylisquement embourgeoisées.

C’est donc une montre totale, tant du point de vue de la crédibilité que de la réalisation et de la compréhension du marché.

Tudor Pelagos Submariner

 

« Une montre existe aussi par ses excès »

Et c’est cette absolue perfection qui est son plus terrible défaut. Un jour, Foversta (Equation du Temps) écrivait :

 

Je lui répondrais que pour moi, une montre, comme n’importe quel concept ou personne (une montre étant un objet minuscule prétexte à une représentation gigantesque), existe avant tout par ses excès. Une Panerai Bronzo existe par son excès de testostérone qui déboule d’Expendable 2, une Lange Datograph par son plus-que-classicisme Germain emprunté à Sisi Imperatrice, une De Béthune DB25l par son radicalisme conceptuel emprunté au fanatisme visionnaire de ses créateurs… Chaque grande montre existe avant tout par ses excès.

Donc, un petit oxymore : la perfection peut-elle être excessive ?

Pour tenter de répondre, plutôt que de prendre l’ennuyeuse Merco Classe-C V6HDI, j’ai opté pour une Classe E500 avec un V8 5.5L de 388ch et 530nm de couple, écologiquement-incorrect, surdimensionné, préhistorique, issu d’une époque où les pays de l’OPEP relevaient tous les ans leurs réserves déclarées de pétrole, fulminant, grondant comme l’orage. Jouissif.

 

Tudor Pelagos