Bonjour à tous,
La première partie.
Afin de vous narrer les premières années de l’aventure NM, j’ai interviewé Michel :
Salut Michel Boulanger,
Salut Pifpaf,
PP : comment l’aventure a commencé pour toi ?
MB : fin juin 2010, j’ai reçu un coup de téléphone d’un membre de GF, je n’ai rien compris à sa demande, j’ai écouté avec attention et j’ai dit oui, puis j’ai raccroché et je suis parti en vacances et j’ai oublié…
PP : comme Gary Kildall qui a raté la vente de MSDOS à IBM en 1980, toi aussi, tu as failli rater l’affaire du siècle !!
MB : oui et non, tout s’est arrangé, car Robert est beaucoup plus sympa qu’IBM, il m’a rappelé le mois suivant et m’a détaillé le projet. J’aurais eu du mal à y croire, si je ne savais pas ce qu’il est capable de réaliser. Je suis venu en Suisse et on en a discuté en détail, j’ai été emballé immédiatement. J’avais envie de prendre du recul par rapport à l’éducation nationale, si l’on veut bien faire son métier de professeur, il faut faire des allers-retours dans le monde professionnel, pour se maintenir à niveau et là, j’ai senti une opportunité.
Robert m’a dit : « Réfléchis à un mécanisme horloger que tu voudrais fabriquer de manière « conventionnelle » fait à la main»…
PP : tu as pensé à quoi ?
MB : A plusieurs projets compliqués dont des chronographes, des comptes à rebours, des grandes sonneries… Des trucs qui n’auraient pas tous fonctionné. En plus tous n’étaient pas forcément assez axés sur l’apprentissage et trop sur l’horlogerie.
Alors on a décidé de reprendre la base : que je façonne la montre de A à Z (à part quelques éléments comme les rubis et le spiral et le ressort de barillet), avec des outils et des alliages globalement pré-crise du quartz : tour mécanique d’horloger (donc le 70), tour d’horloger, spiromatic, machine à compter, projecteur de profil, pointeuse, machine à fileter, etc… 99% du temps, je bosse avec des outils des années 50-60-70, et surtout la plus grande contrainte est la suivante : aucune machine à commande numérique. Tous les gestes sont manuels : je pousse moi-même le charriot vers le burin, si je suis un peu énervé ou fatigué, je rate ma pièce.
Michel au tour d’horloger
PP : comment tu as fait pour maîtriser tous ces outils anciens ?
MB : Robert a suggéré que Philippe s’associe à NM, ce qui m’a conforté dans l’idée d’avancer sur le Garde-temps. Effectivement, je n’ai pas été déçu, Philippe transmet, sans arrière-pensée, sans retenu, il est d’une grande générosité, c’est l’antithèse du taiseux (NDPP : un terme des montagnards pour désigner quelqu’un qui pratique la loi du silence). Il est aussi communicatif qu’il est difficile dans le métier, avec un grand niveau d’exigence. Ce qui n’est pas superflu vu les contraintes de NM.
PP : tu peux nous en dire plus sur ces contraintes ?
MB : NM est un projet qui combine le maximum de contraintes possibles : l’utilisation d’outils anciens, peu productifs, longs à régler… Combiné avec le niveau d’exigence de GF et Philippe Dufour, que ce soit les finitions, de fiabilité, de chronométrie ou le niveau d’interchangeabilité des pièces.
Intrinsèquement, c’est juste très dur de produire 11 pièces de A à Z dans son garage, avec Robert et Philippe comme gardiens de l’excellence. C’est une gageure de chaque instant que de se dépasser pour accéder à l’ultime.
PP : tu commences quand la production ?
MB : ohlala, pas si vite, on est en septembre 2011. Je viens travailler pour NM à 100%, c’était le début de l’aventure, il avait du monde pendant les séances de travail, on a perdu beaucoup de temps lors de la première année, parce que tout le monde avait un avis (certains disaient que je devrai essayer de faire ou comme-ci ou comme-ça…) Le côté positif, c’est que cela a permis de faire évoluer les dessins énormément, entre la première version du calibre, et celle d’aujourd’hui, c’est le jour et la nuit, il y a eu une dizaine de versions du dessin du calibre et une vingtaine de la cage de tourbillon jusqu’à aujourd’hui. Dont la très grande majorité en 2011.
PP : nous voici début 2012…
MB : c’est le SIHH: on fait la première présentation de NM au public. Les gens venaient surtout pour voir Philippe, on a communiqué un minimum, disant juste qu’on fabriquait une montre sans intervention de CNC…
L’accueil était bon, mais les gens ne comprenaient pas vraiment, ils étaient encore, ce qui est naturel, un peu dubitatifs. C’était difficile de se projeter pour eux, car on n’avait pas présenté de montre concrète.
PP : ensuite tu entames la production ?
MB: On a poursuivi les discussions entamées en 2011. Confrontées au réel, les théories de 2011 sont devenues obsolètes, faute d’une vision globale de la réalisation une pièce de A à Z sans commande numérique.
En compagnie de Didier Cretin, nous avons fait des recherches historiques aux réserves du Musée International de l’Horlogerie (merci à M. Piguet) et aux réserves du Musée du château des monts (merci à Gérald Vouga), on a rencontré que des gens hyper cools, qui nous ont donné un accès total. On a pu consulter tout ce qu’il y a entre 1750-1850.
Nos réflexions ont porté sur la production des pièces, combien et quel type de roues, et la méthodologie de leur fabrication traditionnelle. Cette étape a été cruciale pour repousser les limites de ma maitrise du tour 70.
PP : objectif SIHH 2013 ?
MB : nous voulions présenter la cage de tourbillon finalisée au public. On a pris des fausses routes en termes de fabrication, grâce à JF Erard, les dessins ont encore beaucoup évolué. J’ai mis deux mois à réaliser la première cage. Parallèlement, on a continué à mettre au point la partie remontage/mise à l’heure du Garde-temps.
Arrivés au SIHH 2013, l’objectif était tenu : la cage était là : Cage partielle (bas, haut + les deux ponts de cage) + balancier, le tout disposé sur la platine. Avec un début de concret, on a senti un frémissement, notamment parce qu’on a communiqué sur les fonctions du Garde-temps.
La cage de tourbillon du SIHH2013
PP : nous voici arrivés en 2013, c’est là que le projet prend forme ?
MB : clairement, on est rentré dans le vif du sujet, notre objectif pour le SIHH2014 était d’avoir un mouvement qui ferait « tic tac », sans pour autant viser la précision chronométrique. C’était donc un objectif énorme, je devais en effet produire 90% des composants (principalement les composants mobiles), et faire fonctionner le tout!
En plus, comme tous les ans, on a amélioré un peu les plans… On a notamment supprimé un bras et une vis sur la cage de tourbillon, ce qui a permis de réduire 30% du poids.
Cette année fut d’autant plus intense, car je pensais que les plans étaient définitifs, j’ai produit des micro-séries de 5-6 pièces, les nombreuses vidéos du site du Garde-temps ont été réalisées à cette époque.
PP : 2014, c’est après trois ans de maturation, la première concrétisation?
MB : le gros enjeu pour le SIHH 2014, c’était d’avoir ce mouvement qui fonctionne… J’ai bossé d’arrache-pied. Finalement, j’étais en avance, il faisait « tictac » le samedi matin précédant le SIHH !!
Et surtout grosse fierté car le mécanisme, dans sa plus simple expression, a fonctionné durant tout le Sihh malgré une simple cloche en verre pour le protéger. Il fonctionne jusqu’aujourd’hui!!
Le calibre du Garde-temps de 2014
PP : il a y eut des changements en cours d’année 2014 ?
MB : effectivement, Didier a suggéré de revoir en profondeur les plans du Garde-temps, ce que Robert a validé, toujours dans une optique d’excellence… Pour moi, c’était compliqué, je souhaitais faire évoluer mon mouvement déjà réalisé en micro-série… Contrainte supplémentaire, je devais reprendre les cours à la rentrée 2014 et enfin dernière obligation, je devais perfectionner la réalisation du spiral Breguet avec Philippe.
Finalement, j’ai refait un mouvement complet, j’ai récupéré quelques pièces, mais le plus gros, notamment la platine et les ponts, était à revoir. J’ai refabriqué 60% des pièces cette année là.
PP : mission impossible ?
MB : oui et non car sans l’aide de Jean-François Erard, j’aurais perdu du temps au moment où celui-ci était devenu une denrée rare. Ces précieux conseils m’ont permis d’évoluer dans la connaissance du tournage fraisage, et j’ai pu produire et assembler les composants.
Pour la boite, c’était encore une autre galère, on a convenu de faire appel à un prestataire, mais celui-ci devait respecter nos exigences qualitatives et contraintes de production : pas de commande numérique.
J’ai jonglé toute l’année, avec beaucoup d’aller-retour en Suisse, notamment pour apprendre à lever le spiral avec Philippe… Pour te donner l’ambiance : le jour de noël, déjeuner dans la famille de ma sœur en Picardie, j’ai quitté précipitamment le repas à 14h pour commencer à bosser à 19h chez moi…
Philippe Dufour sur le spiral
PP : c’est fou !! Tu bossais le jour de noël pour présenter le Garde-temps assemblé au SIHH 2015 ?
MB: Oui, et ça été payant, puisque j’ai fini l’assemblage complet du Garde-temps in extremis. Le succès a été proportionnel au stress, je n’ai pu prendre aucune pause déjeuner durant le salon, j’ai aussi décidé d’accompagner le Garde-temps ou qu’il aille, j’ai donc assisté aux conférences, mais aussi aux rencontres avec les collectionneurs et détaillant… Et il faut bien le dire, c’était un sentiment étrange, quand tu as passé autant d’heures dans ta cave à réaliser une montre. Cerise sur le gâteau, j’ai pu faire venir deux de mes étudiants, ce qui était un beau symbole de la transmission qui anime NM.
Cet exemplaire du Garde-temps va être vendu chez Christie’s en mai à Genève, comme montre-école, c’est-à-dire sans les finitions. Ça va être un bon test de l’engouement des collectionneurs pour le Garde-temps.
La fondation Time Aeon qui était à l’origine du projet est devenu la plateforme de partage des Savoir-faire de NM, plusieurs institutions, détaillants et maison d’horlogerie nous ont rejoint, le projet grossit à mesure que le Garde-temps prend forme. Par exemple, la FHH met un petit stand complet à notre disposition pendant le SIHH.
Le Garde-temps assemblé, réglé et fonctionnel
PP : qu’as-tu appris cette année ?
MB: La décoration, la dernière étape! Je l’ai approché un peu différemment, car je ne possédais aucune connaissance à ce sujet. Mais pour que ça reste une expérience ludique, je voulais garder un œil frais.
Pour apprendre, je décore tout seul, je polis tout seul, je montre mon résultat à Séverine et à Philippe, qui me montrent leurs méthodes. L’avantage c’est que l’échec confère une expérience incroyable: c’est dur, je perds des pièces, mais mon niveau d’apprentissage n’est pas linéaire, il est plus pertinent, je comprends mieux le pourquoi et je retiens mieux les informations, cela m’aide aussi à perfectionner encore mes techniques d’usinages : un composant mieux usiné se décore plus facilement.
Philippe Dufour et Michel Boulanger en tournage du film institutionnel sur NM
PP : vous avez travaillé sur quels aspects de la décoration ?
MB: Le Garde-temps sera décoré selon les critères de l’âge d’or de l’horlogerie mécanique, soit 1750-1850, ce qui exclut les côtes de Genève, typique de la Suisse (à l’époque l’horlogerie était surtout basée à Londres et à Paris).
J’ai donc appris le grainage des ponts, le polissage des axes (arbres), traits tirés, cerclage et anglages sur les roues, polissage des flancs des ponts à la main. Cette dernière partie est novatrice, car on essaye de retrouver un Savoir-faire perdu depuis cette époque…
PP : cette année 2015 est plus calme pour toi ?
MB: Oui et non. La décoration est super excitante, c’est génial, parce que c’est là que la pièce devient magique, c’est un aboutissement de la première phase.
PP : la première phase, le projet n’est pas terminé ?
MB: Ce n’est que le commencement, tout d’abord, je dois terminer de produire les 11 Garde-temps, ce qui est loin d’être fait… Ensuite, et c’est l’objectif réel de NM, je dois moi-même former quelques jeunes horlogers, qui en formeront d’autres à leurs tours.
Dans quelques années, probablement que NM sera achevé pour moi, mais le projet est destiné en définitive à tous nous survivre, pour que jamais plus ne s’oublie la grande tradition horlogère.