" Le prix s'oublie, la qualité reste." Michel Audiard
Analyses
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Crise horlogère 2015, ses causes: verticalisation vers le bas 4/5

Le 3 septembre 2015
Malik
Malik "Pifpaf" Bahri
L'auteur.

Bonjour à tous,

Pour illustrer cet article, quelques photos tirés la fantastique série Colombienne « Pablo El Patron del Mal », cette série met en scène Pablo E. , jeune et dynamique entrepreneur logisticien qui à verticalisé entièrement son business, jusqu’à son point d’incompétence…

Cette logique de tapis de bombes, se retrouve aussi dans la constitution des gammes. Dans nombre de marques moyen et haut de gamme ont multiplié les nouveautés dans tous les sens, mais surtout sans aucun sens. Quand je me pointe à Bâle, et qu’une marque X me pose 50 ou 60 nouveautés sur la table, je me dis qu’il y a un petit problème dans la gestion des lignes de produits : « la même en bleu ».

Ça part dans tous les sens, et neuf fois sur dix, c’est évident que la montre est un horrible nanard, que c’est un verdâtre glaviot craché à la gueule des plus élémentaires règles de base de l’esthétisme, que ça ne marche pas, que ça ne marchera jamais, mais bordel, faut pas avoir fait l’ENA, Polytechnique et les Beaux-Arts pour voir que c’est vilain !!

Mais non, comme ils ne comprennent rien, ils retentent chaque année de refourguer des montres moches. Evidemment, cette persistance dans la connerie à un coût : pièces invendables, marché gris, coûteux référencement interne des composants, etc… (A noter, Tudor et Rolex on plutôt présentées moins de nouveautés que la moyenne surtout si on fait le ratio pièces vendues/nombre de références présentés à Bâle)

Il y a quelque chose qui tient de la folie des grandeurs dans les germes de cette crise. De même que la plupart des maisons d’horlogerie ont été incapables d’avoir le courage ou l’intelligence (c’est un peu la même chose dans ce cas) de cibler leur communication pour diminuer les dépenses et augmenter l’impact. Elles ont été, de mêmes, inaptes à diminuer les nouveaux modèles présentés annuellement (10-15 pièces, ça devrait être un optimum). Enfin, elles ne sont pas parvenues à s’entendre sur un seul salon horloger annuel (le SIHH + Baselworld est une aberration toute Suisse, quand les montagnards du haut et du bas du même village ne s’adressent plus la parole depuis des générations).

Ici, Pablo & CO en comité de pilotage, contrairement à l’horlogerie, dans le milieu, on fait des choix drastiques.

pablo-escobar-novelasddefault

  • Cette impuissance décisionnelle se retrouve aussi dans le non-choix d’une stratégie de verticalisation efficiente.

Nicolas Hayek, l’annonçait depuis des années et c’était lancé dans un bras de fer avec la Comco (commission de la concurrence qui dépend du ministère de l’économie Suisse), il allait cesser de livrer des ébauches (mouvements non assemblés/finis) à ses concurrents, via le grand nègre de l’horlogerie : ETA/Valjoux, propriété de Swatch Group.
Etrangement, alors que les constructeurs de moteurs automobiles, sont pressés de vendre leurs moteurs à la concurrence, pour amortir les monstrueux coûts de développements, le Swatch Group a tellement d’argent (la famille Hayek est milliardaire) qu’il préfèrent couper les pattes aux autres marques quitte à perdre de l’argent.

Au premier abord, on pourrait penser qu’il s’agit de politique de la terre brûlée. Mais sur le fond, le grand-père Hayek avait raison : il était temps que l’industrie horlogère quitte le giron de la famille Hayek, pour conquérir le monde. Un Tanguy puceau de 40 piges qui vend des 7750 à 25000balles, ça fait tache.

Donc le grand père annonçait depuis des années que la livraison de mouvement ETA/Valjoux allait cesser progressivement.

  • Mais son fils, Nick Hayek, lui a été beaucoup plus radical et impitoyable : il a commencé à arrêter la livraison d’assortiments Nivarox (l’ensemble balancier/spiral/échappement) et même de spiraux.

Si les plus sages avaient anticipé la fin des ébauches ETA en développant leurs propres calibres in-house et la manufacture adossée (Panerai et Breitling ont été de très bon élèves), tout le monde a été pris au dépourvu par cette annonce.

Mettre au point un spiral est très compliqué (MHF-Parmigiani Fleurier, Technotime, Roger Dubuis, Concepto, sont parmi les rares très sage à avoir produit leurs propres spiraux). Le savoir-faire de Nivarox dans le domaine est juste unique, les calibres Valjoux, en particulier le 7750 sont d’une précision redoutable, bien supérieure à des tourbillons et autres montres haut de gamme dit « chronométriques ». Cette affaire du spiral est donc à décharge de l’industrie.

Au-delà de ce gros problème, une marque peut intégrer sa production dans quatre grands domaines : le calibre, la cadrannerie, les boîtiers et la distribution.

Allez, je vous le dis, il y a un piège, vous avez 10 secondes. Un indice : quel est le métier d’une maison d’horlogerie ?

  • Vous avez trouvé, je suppose, il vaut mieux éviter la distribution, ce n’est pas le métier des maisons d’horlogerie. C’est pour ça que les boutiques de marques se sont multipliées comme les saisies immobilières à Detroit. Logique. On discerne bien la pensée stratégique.

Histoire que personne ne se plante, je vous ai même donné le quarté dans l’ordre.

La pub la plus ringarde de la galaxie:

La réalisation du calibre en interne est vraiment la top priorité pour une marque digne de ce nom, c’est vital, tant du point de vue logistique, que du point de vue horloger. La complexité est grande (à l’échelle de l’horlogerie) et il est inenvisageable pour une maison sérieuse de déléguer cette tâche.

La fabrication du cadran est cruciale dans une montre, c’est le premier élément de qualité perçu, et les fournisseurs de la place ont du mal à fournir de la top qualité. L’intégration de ce métier est donc nécessaire. J’en veux pour preuve, les magnifiques Cadrans de De Bethune et De Witt, qui ont en commun d’avoir mis le paquet sur ce volet du métier.

Pablo E. inaugurant sa dernière manufacture:

Pablo El Patron del Mal Labo (1)Pablo El Patron del Mal Labo (2)

La réalisation du boîtier interne est un peu moins stratégique, d’une part parce que c’est clairement le composant le moins complexe (à part les verres saphir), d’autre part parce que la transformation des boîtiers en or nécessitent d’immobiliser de grande quantité de métal précieux (environ neuf grammes immobilisés pour un gramme finalement utilisé dans le boîtier), un fournisseur est mieux à même de supporter l’investissement et de mutualiser la nécessaire sécurité.

  • L’intégration de la réalisation des calibres, cadrans et boîtiers, a une conséquence néfaste et paradoxale: la surproduction. Marx l’écrivait déjà dans le capital, la conséquence de la production en série de marchandises, c’est de produire plus que la demande… Que faire ?

La réponse des marques horlogères : distribuer soi-même, histoire de bourrer plus que jamais les coffres.

Plus de négociations longues et chiantes avec des détaillants rétifs. Le nouveau directeur du flagship store est un intérimaire qui vendait des fringues gucchiotte la samedi d’avant. Il ne comprend rien et obéit le petit doigt sur la couture du pantalon, le rêve! Certes, le principe de réalité en prend un coup, mais il faut écouler le stock Suisse coûte que coûte afin de présenter un beau bilan aux actionnaires en fin d’année. L’éternel retour du réel, ça sera pour votre successeur, « après moi, le déluge! ».

A ce stade, le plus gros problème, c’est la ligue de défense des coffre-forts qui porte plainte contre la cruauté du gavage pratiqué par les fabricants de montres.

Exclusif, le remplissage des coffres dans un flagship:

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Pour la défense de l’industrie horlogère, le foie était vraiment trop gras: il faut savoir qu’aujourd’hui, une grande maison, cède entre 35 et 40% à un détaillant, un peu plus pour les indés qui montent parfois au-dessus de 50%. Ces chiffres sont beaucoup plus élevés que dans des concessions automobiles ou informatiques ou la marge distributeur tourne autour des 20-25%, voire moins.

  • En fait, ces pourcentages sont proches de ceux pratiqués dans les autres secteurs du luxe, mais bizarrement, dans ce cadre, c’est un problème d’appartenir au luxe…

Bref, ça fait des années que les grands patrons de l’horlogerie lorgnent sur cette manne, comme toi ami lecteur, tu lorgnes sur le cul en string d’Angie Cepeda, (la comédienne qui incarne la maîtresse journaliste de Pablo), en attendant fébrilement le prochain article de Foudroyante (désolé pour ces retards).

  • Donc les grandes maisons se sont lancées dans le développement d’un réseau de distribution from scratch, en négligeant plusieurs points :
  • En période de crise, c’est cher à entretenir (loyer, amortissement, frais de fonctionnement, salaires, impots, etc…).
  • Le contexte multimarque permet de promouvoir un produit au-delà des adeptes de la marque.
  • Les vendeurs des cornes et autres flagship ne sont absolument pas formés à l’horlogerie, la semaine précédente, ils vendaient des cravates ou des sacs à main.

Pablo E. en se lançant dans la politique a, de même, atteint son point d’incompétence…

Pablo Politico (2)Pablo Politico

Cette politique de verticalisation à outrance est inversement proportionnelle à la préservation du patrimoine, on a favorisé le fric au détriment de l’histoire.
Et c’est le patrimoine, en bon tonton flingueur, qui s’est chargé de tirer une seconde balle dans l’autre genou de l’horlogerie contemporaine.

Hasta luego.
Don Pifpaf.