" un métier, pour moi, n'est pas fait pour gagner de l'argent mais pour gagner de l'honneur." Olivier de Kersauson
Analyses
Partager

Crise horlogère 2015, ses causes: la réclame, la folie des grandeurs 3/5

Le 27 août 2015
Malik
Malik "Pifpaf" Bahri
L'auteur.

“Les bonnes marchandises se passent de publicité.” Proverbe chinois

 

Bonjour à tous,

 

Bien évidemment, l’industrie horlogère n’a pas gagné collectivement à l’€uromillion (en fait, le chiffre d’affaire annuel de l’horlogerie représente 100 lots de 190 millions d’€uros).
Pour arriver à générer autant de cash, il a fallu modifier génétiquement les prix. Comme vous l’avez vu dans la vidéo « L’horlogerie, la chute », ou les vidéos de 120 secondes avec Gilbert Vacheron, l’horlogerie à suivi, voire précédé l’explosion délirante des prix de l’industrie du luxe.

La « chute » est un peu la réponse aux vidéos de 120 secondes mettant en scène Gilbert Vacheron:

« Si les chinetoques et les ruskoffs ils kiffent nos breloques, c’est parce qu’elles douillent !! » Gilbert Vacheron

Durant la décennie 2005-2015, les prix ont simplement doublé sur de nombreuses montres, avec un des justifications parfois oiseuses (nouveaux habillages), voire inexistantes, vu que les modèles sont restés les mêmes.

  • La stratégie prix du marketing du luxe, se résumait à celle d’un joueur compulsif : tant que je gagne, je joue, donc j’augmente les mises.

Certaines marques, Patek, Vacheron, Panerai en tête ont été jusqu’à faire deux augmentation annuelles de 10%, soit 21% d’augmentation par an

Comité de pilotage d’un fameux groupe horloger, séance de pricing 2012:

De Funès La folie des grandeurs 2

(à noter que Rolex est resté plus raisonnable, ses modèles phares, Daytona et Submariner ont juste augmenté de 70% au cours de la décennie 2005-2015). Heureusement, la montre n’est pas un produit de première nécessité (à part pour les cinglés type Paneristis).

  • Les managers horlogers parachutés qui auparavant vendaient des sacs à main ou de la lessive, ont géré cette manne avec les mêmes méthodes que dans les autres secteurs du luxe. 

Le problème, c’est que contrairement à la plupart des autres produits de luxe (maroquinerie, parfum, textile, etc…), la montre est un produit technologique, au même titre qu’une bagnole ou qu’un ordinateur.

  • Et la question de la gestion débile du pactole des années 2000 est au cœur de la crise actuelle.

Si la manne a été si mal gérée, c’est parce que personne n’a compris les raisons profondes de l’engouement pour la montre mécanique : la fascination de la mécanique (le slogan de Chronoswiss). Le mythe d’un temps ou les mécanismes, tant de notre technologie, que de la société étaient faciles à comprendre, loin des guerres de 4éme génération, du transhumanisme et des équations quantiques qui régissent le fonctionnement des microprocesseurs de nos smartphones.
Pour ceux qui s’intéressent un peu aux courants de SF, c’est le Steampunk auquel on se raccroche, effrayé par le gouffre Cyberpunk qui s’étend jusqu’à l’horizon.

Mais ce conceptualisme de base, c’était vraiment trop pointu pour des vendeurs de tampons hygiéniques.

La motivation de base du client régulier d’horlogerie est d’acheter un mythe mécanique, qu’il soit aventurier (les Rolex Professionnals, les Breitlings), militaire (les B-Uhr et autres Panerai, les accessoires de l’Axe ont toujours plus fasciné que ceux des Alliés), néo-classique (Patek, Vacheron …), mythologique (Lange…), etc…

Inédit: un partenariat montres/automobiles:

Don Salustre Carrosse La Folie des Grandeurs

L’horlogerie indépendante ne rentre pas dans ces critères, la nouvelle horlogerie à globalement mieux compris le Zeitgest post crise du quartz, sans toutefois arriver à communiquer correctement dessus.

La motivation du passionné lambda est donc totalement imperméable aux grosses caisses du marketing pour ménagères de moins de 50ans. Et pourtant, on n’a pas hésité, des « stars », des « stars », encore des « stars » du cinéma, du sport, voire même de la littérature (Paolo Coelho en l’occurrence, à quand Marc Levy ?).

Et attention, toujours du gras, du people, on pas sélectionné l’ambassadeur sur ses qualités intrinsèques, mais bien sur sa notoriété. La notoriété, ça se paye, très cher.

Devant tant de créativité horlogère, on se pâme (Adriana Lima IWC,  Di Caprio-Tag Heuer, Hrithik Roshan-Rado, Kidman-Omega):

Lima IWC2-Montre-TAG-Heuer-Carrera-1887-Leonardo-DiCaprio

Hrithik-Roshan,-Rado's-GlobNicole_Kidman_Omega_Ladymaticjpg

Mais la star, c’était encore trop potentiellement efficace pour parler aux newbies de l’horlogerie. Donc il fallait trouver un moyen de claquer le flouze dans des partenariats encore plus idiots : multiplication des cocktails, des expositions d’art contemporain (des trucs tellement mauvais, qu’à coté Jeff Koons, c’est Michelangelo), des sponsorings de niche, d’arrosage massif de tout et n’importe quoi avec le niveau de précision d’un B52 au-dessus du nord Vietnam en 1969.

boeing_b-52_dropping_bombs-vietnam-circa-1965-1966

Après avoir claqué 80% du gigantesque budget com’ dans des supports sans aucun rapport avec l’horlogerie, le stagiaire, livrant les cafés en salle de direction a fait remarquer qu’on n’avait pas communiqué auprès des clients connus.
Après avoir remercié cet impudent troll stagiaire, la direction à une idée lumineuse :« On ne communique pas auprès des collectionneurs ! »

Le collectionneur, le dahu de l’horlogerie. Tout le monde dit l’avoir vu, mais personne n’a jamais réussi à prendre un en photo.

Que faire ?

S’acheter des pages de pub à 15000 balles dans des magazines d’aviation que personne ne lit (15000 exemplaires officiels, 5000 réellement imprimés, et 4500 distribués gratuitement à des listes de clients « triés sur le volet »). Moi par exemple, je reçois un magazine, juste parce que je fais mes vidanges chez Mercedes…

Il faut dire, ouvrir Google, et passer trois jours à explorer le web horloger, pour découvrir des forums spécialisés, des blogs pointus et rencontrer des passionnés, qui risqueraient d’être impertinents, c’était vraiment hors de portée d’une industrie qui brasse 20 milliards par an. Un peu comme les impôts dans les pays socialistes, comme la France, ne vont jamais dans les poches de ceux qui sont le plus dans la détresse, les colossaux budgets communications des maisons d’horlogerie n’ont été que très marginalement dans les poches de ceux qui animent cette passion online.

  • Quand on voit la communication communautaire de BMW (qui rappelons-le vendent des automobiles de luxe) le contraste est d’une ringardise affligeante.

Deux pubs au hasard de BMW, des pubs lambda, qui communique sur le plaisir de conduire, le cheval vous démontres que les quadrupèdes sont des tractions arrière (dans les fait des transmissions intégrales 70% ar – 30% av), et l’autre c’est un jeu de mot « Foudroyante approved »:

BMW Propulsion Pubpub-bmw-sc3a9rie-4

Bien sûr, cela ne se limite pas aux supports, mais aussi au message : il s’agit de luxe, mais dans la perception d’une bonniche immigrée de Rosny-sous-bois, du Luxe façon soap opéra.

Du luxe gras, du faux luxe en fait, les pubs de Breitling avec David Beckham (il parait qu’il joue au foot) constituent l’ultime combo, dont même un joueur de MMORPG ne pourrait rêver : un bellâtre métrosexuel devant un jet privé  ou une Bentley, tenant nonchalamment sa veste en cuir un peu rebelle (mais pas trop surtout) sur l’épaule pour bien montrer le produit.

Bentley Beckham

  • C’est censé faire rêver qui? Parce que c’est des mecs qui achètent les montres, pas des ménagères de moins de 50ans…

Je me souviens d’une époque dans les années 90, ou les pubs Breitling « Sir Yes Sir » (source INA) étaient créatives, couillus et funs.

Là, je tape sur Breitling (rassurez-vous, je vais dire du bien d’eux dans la prochaine partie), mais c’est déclinable à 80% des marques horlogères, des ambassadeurs couteux et lamentables, une absence de message sur le fond, un produit totalement absent du message… En voulant parler à tout le monde, on ne parle à personne, et c’est l’exact inverse de ce qu’il faut faire dans le cadre de marché de niche.

Le produit horloger est aimé parce qu’il est ancien, la communication horlogère est honnie parce qu’elle est éculée.

Merci de votre fidélité.
A bientôt.
Malik.