Je me rapproche de la porte de soute, qui s’ouvre une fois passé les contrôles d’usage ; malgré la combinaison et le masque à oxygène, l’air glacial d’altitude me transit.
Le sol est tellement loin qu’il en devient théorique, l’appréhension habituelle ressentie lors de sauts standards s’estompe.
Je plonge, j’ouvre ma voile une douzaine de secondes plus tard… Alors que je traverse enfin le manteau nuageux, je m’aperçois que j’aborde la côte, l’océan turquoise cède la place à un fin ruban doré puis à une mer d’un vert intense; la flore contraste chaleureusement avec le froid ambiant.
A mesure que je dérive, une pellicule de brume se forme au-dessus de la végétation glauque. Après quelques kilomètres, un point doré apparaît au milieu de la chlorophylle, sa luminosité transperce les nuages.
Un cercle de pyramides antédiluviennes se détache ; en m’approchant, j’appréhende leur échelle cyclopéenne. Aveuglé par la lumière émise par la place centrale, je tente en vain de me poser dans la jungle, mais je suis happé par la cité. Un monstrueux serpent mordoré à plumes vertes ondule au milieu de la place ; le reptile titanesque me regarde fixement.
Si « happé » est le mot le plus juste, il n’en reste pas moins réducteur.
Evidemment, cette intro façon Lovecraft est fictionnelle. Mon problème est lié au vocabulaire. Il me manque les mots pour vous décrire au plus juste l’impression d’aspiration que l’on ressent lorsqu’on contemple le cadran de cette incroyable DB25 Quetzalcóatl.
Contrairement à GreubelForsey, ou à bien d’autres qui ont opté pour une tridimensionnalité maximum, le tridimensionnel chez De Bethune a toujours été timide, se limitant la plupart du temps à des ouvertures sur les organes réglants.
Mais avec cette Quetzalcóatl, De Bethune ouvre une nouvelle voie dans le tridimensionnel horloger, une vision qui n’est ni vraiment technologique (tourbillon, cadran ouvert), ni totalement métier d’art.
On a tous un rapport personnel aux civilisations précolombiennes, du plus sérieux au plus trivial. Pour ma part, on est dans l’ultra-trivial, ça va des canards de Carl Barks, à Warhammer, en passant par les Mystérieuses cités d’or (une saison supplémentaire de 2012 se déroule en Chine) . L’oncle Picsou et ses neveux ont peuplé mon enfance, visitant/pillant régulièrement d’antiques cités latino-américaines; je vous recommande notamment les excellentes planches du génie du dessin, Don Rosa, que l’on peut retrouver dans la série Francophone « Les trésors de Picsou ». Plus tard, (pour les amateurs de Warhammer), j’avais monté une figurine de démon majeur de Tzeentch, une effigie du Quetzalcóatl sur une base de dragon à plume bicéphale…
Du coté de De Béthune, il s’agit d’un sujet sérieux : il semble que les nations ayant érigé des pyramides soient un objet de fascination récurent pour De Bethune, qui durant ces dernières années n’a cessé de développer des pièces horlogères sur ce thème, que ce soient les pyramides Egyptiennes, Amérindiennes ou Chinoises.
D’un point de vue purement horloger, la grandeur et la disparition de ces cultures est un rappel à l’urgence de la préservation des Savoir-faire. Les civilisations latino-américaines se sont effondrées en moins d’un siècle, malgré leur résilience multimillénaire. En horlogerie, tout peut disparaitre à tout instant, à la faveur d’une nouvelle crise économique ou d’une désaffection massive pour les montres.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je dois vous préciser le mode de lecture de cette pièce : il s’agit d’une montre simple, heures/minutes. Les pyramides sont les index et fonctionnent un peu à la manière des chiffres romains : une pyramide carrée = 1, une pyramide allongée = 5. La queue du serpent indique les minutes et sa tête, sa langue plus précisément, indique les heures.
Commençons par la fin, le mouvement. Le calibre présente trois styles de finitions : d’une part, les classiques côtes de Genève de la partie centrale. On les découvre grâce aux reflets, elles sont très fines, la lumière se pose progressivement dessus avec des contrastes assez importants. La forme du pont central rappelle les masses oscillantes des montres de poche Breguet anciennes.
D’autre part, la platine présente un magnifique poli miroir, qui tranche totalement sur les subtiles côtes de Genève du pont central : on dirait presque un radeau flottant sur une mer de métal liquide.
Enfin, cerise sur le gâteau : l’organe régulant. Sa finition est carrément rétro-futuriste, elle emprunte largement à la SF des années 20 à 60, depuis Métropolis jusqu’aux prémices du Space Opéra contemporain, en passant par les pulps. Ce qu’on remarque immédiatement, c’est que l’organe réglant est tenu par un pont à triple pare-choc. Sa nécessité est-elle démontrée avec le nouveau spiral invar ??
Bien que précurseur dans le domaine, De Bethune a pour le moment mis de côté les spiraux en silice, ce qui tendrait à démontrer la difficulté à implémenter cette technologie, la roue d’échappement étant toujours en silice).
Ce balancier (fréquencé à 28800a/h pour 144h de RdM par double barillet) est d’une grande beauté, le centre de l’anneau est fait de silice, tandis que le tour est constitué d’or blanc, ce qui permet de placer l’essentiel de la masse sur le tour du balancier, accroissant ainsi l’inertie…
Le cadran est quand à lui simplement incroyable, l’un des plus fantastiques à avoir été produits ces dernières années. Au poignet, l’immersion est totale, on est happé au cœur de Teotihuacan. Le cadran, bien qu’immobile, rayonne une vie incroyable.
NB : la montre est un prototype, le liquide utilisé pour donner l’effet bronze patiné à l’or des pyramides n’est par exemple pas réparti d’une façon homogène. Les pyramides semblent également souffrir de quelques défauts de moulage que l’on peut apercevoir en regardant attentivement les « micro-macros » accompagnant cet article.
La surface, « le sol » de la cité et le sommet des pyramides sont martelés à la main, ce qui produit cet effet irrégulier difficile à obtenir avec une machine. Cette finition est intéressante, car elle se positionne entre le visuel de la pierre taillée et les ponts grainés des montres de poche d’antan, notamment des Breguet du XVIIIème siècle.
Un traitement de surface donne un effet patiné aux différents niveaux des pyramides, accentuant ainsi l’effet de profondeur. Les pyramides semblent en effet faire dans les 3-4 millimètres de haut. Mais considérant la finesse du Garde-temps (44mm*12.5mm), il est impossible qu’elles soient si hautes, elles ne doivent pas dépasser les 1 ou 1.5mm, mesuré au comparateur.
Les édifices reposent sur une surface entièrement martelée, créée avec la technique « Microlight » : la plaque est gravée à haute vitesse par une machine, puis est ensuite finement sablée afin de ne pas être trop régulière.
Le « Microlight » est un attrape-lumière incroyable et il n’avait jamais été aussi éclatant que dans cette livrée or.
On a l’impression de quitter les gradins d’une arène antique, pour fouler du pied une arène faite de sable d’un doré éclatant digne du grand serpent à plume.
Le Quetzalcóatl est bien entendu le pinacle de cette merveille horlogère,
le travail de gravure de Michèle Rothen est d’une très grande précision. Mais au-delà de sa précision, il donne un volume imposant au serpent, qui est pourtant d’une épaisseur assez limitée si on le photographie par la tranche. La gravure comporte juste le niveau d’imperfection nécessaire pour donner vie au reptile. La touche artistique vient s’ajouter à un travail graphique sans faille.
Vous pouvez me trouver dithyrambique, démesurément enthousiaste au sujet de cette pièce qui, il est vrai, provoque chez moi une diarrhée scripturale. Mais c’est un minimum lorsqu’on a un tel chef d’œuvre en main. Il y’a sept ans que je suis De Bethune de très près, et je n’ai jamais été déçu, jamais. Au cas où la présentation du SIHH serait un peu en retrait, je sais que celle de Baselworld sera au top, ou inversement. Avec l’arrivée de Pierre Jacques aux commandes, je craignais que De Bethune ne prenne un tournant uniquement orienté commercial.
Au revoir, à bientôt.